Astier Nicolas,
Reconstituteur et membre des Somatophylaques.
Reconstitution d'un Linothorax à écailles
Introduction
Sur de nombreuses iconographies réparties de la période archaïque à la période hellénistique, on peut voir de nombreuses représentations de guerriers portant une armure de type Linothorax [1] Armure composée de 18 à 24 couches de lin collées entre elles ou Spolas [2] Armure de cuir épais d’apparence proche du linothorax tout ou partiellement recouverte d’écailles.
Le but de ce document sera donc de vous présenter le processus et le raisonnement qui ont conduit à chacune des hypothèses de travail ainsi que les différentes étapes de fabrication nécessaires à mon projet.
J’aborderai également les biais possibles qui rendent difficile une représentation entièrement historique malgré la volonté coller au plus proche de mes sources.
Objectif
Mon objectif pour ce projet est de créer une reproduction la plus fidèle possible de l’armure du personnage de droite (Cycnos).
Cette iconographie est issue d’un Cratère attique à figures rouges daté d’environ 510 BC.
Pourquoi avoir choisi celui-ci ?
Car même si la représentation est plus ancienne que la période que je reconstitue, on peut retrouver de nombreuses représentations d’armures à écailles similaires pour ne pas dire identique dans des iconographies allant de la période archaïque à la période hellénistique. Cette représentation présente l’avantage de montrer beaucoup de détails de l’armure vue de face. J’ai également recoupé avec les autres représentations pour tâcher d’interpréter le plus justement possible les informations manquantes.
Choix techniques
Le support
La première étape a été de choisir un support, car l’iconographie à ma disposition ne disposant d’aucune indication textuelle, il est difficile de déterminer si l’on a affaire à un Spolas ou à un Linothorax. En effet, comme les deux armures présentent une silhouette similaire, elles possèdent des apparences très proche sur les représentations. Partant de ce constat, j’ai choisi le lin car cela me paraissait un choix cohérent. Je travaillerai donc sur une base de Linothorax.
Les écailles
La difficulté dans le choix de la matière de l’écaille tient dans le fait que nous n’avons à ma connaissances aucune découverte archéologique qui s’apparente à une écaille d’armure, et également aucune mention textuelle. Ce qui nous laisse encore une fois avec deux hypothèses :
Le bronze
Matériau noble de l’antiquité grecque, utilisé pour fabriquer des pièces d’armure couvrant toutes les zones du corps.
Avantages :
-
- Solidité grâce au chevauchement des écailles fixées sur un support plus tendre
- Fin
- Prestige élevé
Inconvénients :
-
- Plus lourd
- Extrêmement cher
- Difficile à travailler
Le cuir
Utilisé tout au long de l’histoire pour réaliser des protections à écailles, c’est une hypothèse probable.
Avantages :
-
- Coût moins élevé
- Plus léger
- Plus flexible
Inconvénients :
-
- Demande une grosse épaisseur pour une protection équivalente
- Nécessite plus d’entretien
J’ai fait le choix des écailles de bronze pour plusieurs raisons. D’abord le prestige, l’immense majorité des représentations montrent des guerriers entièrement équipés, et possédant des pièces d’armures très ouvragées, ce qui semble montrer que ceux-ci sont fortunés. S’équiper d’une armure de cuir Lorsqu’on qu’on a les moyens de se payer des cnémides et un casque en bronze ornés ne paraît pas cohérent.
Ensuite une raison logique, dans une bonne partie des représentations (comme celle de mon modèle), les écailles sont représentées de petite taille, ce qui ne paraît pas coller avec l’épaisseur de cuir nécessaire pour donner une protection optimale. De plus historiquement les armures d’écailles en cuir des autres périodes possèdent généralement des écailles de taille plus importante que leur équivalent métallique.
Les ornements
Les plaques d’épaule
Pour réaliser les plaques d’épaules à motif de lion, afin de rester cohérent avec mes choix précédents, je vais m’orienter également sur du bronze.
Quant au motif, deux techniques sont possibles : la gravure et le repoussage. Les deux étant abondamment sourcées, je vais orienter mon choix vers le bronze repoussé car encore une fois cela demande plus de compétences d’artisanat que la gravure et correspond donc à l’hypothèse d’une armure portée par quelqu’un de riche. Et également parce que la gravure me semble une hypothèse moins valide dans la mesure où le dessin du motif n’est pas un simple contour mais rempli.
La ceinture
Les dommages sur l’oeuvre d’origine ne permettent de voir que peu de détail de celle-ci, mais on peut cependant en tirer quelques observations.
La présence d’un rabat tombant à la verticale avec les motifs de lion similaires à ceux vus plus haut permettent d’émettre l’hypothèse d’une ceinture de cuir sur laquelle sont fixées des plaquettes de bronze.
Le corps de la ceinture qui fait le tour du combattant est décoré de motifs géométriques récurrents, soit des carrés, soit des méandres
Fabrication
Création du Linothorax
Le choix a été fait de partir sur un linothorax à 12 épaisseurs de tissu, ce qui est peu, mais paraissait suffisant à cause de l’adjonction du poids et de l’épaisseur des écailles au tout pour renforcer la résistance. De plus les représentations les montrent fréquemment assez fins, ce n’est pas suffisant pour conclure qu’ils étaient effectivement plus fins qu’un linothorax classique mais cohérent avec l’idée que dans ce cas la le lin sert principalement de structure à l’armure.
Un patron en carton a été fait puis reporté autant de fois que d’épaisseurs sur le tissu. le tout en trois parties : le plastron d’une seule pièce qui fait le tour du torse, la pièce dorsale avec les rabats pectoraux, la ceinture de ptéryges (il est difficile de savoir sur la représentation si la partie ptéryges/plastron est d’une seul pièce ou si la ceinture est décorative et sert d’ornement au raccord des deux parties).
Ensuite les épaisseurs ont été collées entre elles avec de la colle (bois/peau/poisson) en prenant garde à la dilution de celle-ci : trop diluée, la colle pénètre certes mieux les fibres du tissu et s’étale plus aisément mais adhère moins, pas assez diluée, elle est pâteuse et difficile à travailler mais adhère mieux. Il a été nécessaire de faire plusieurs essais pour connaître les dosages afin d’obtenir une colle pénétrante suffisamment diluées pour ne pas changer le produit final en brique et permettre d’obtenir souplesse et résistance.
Fixation des écailles
Les écailles sont cousues au fil de lin poissé (important pour limiter son usure au contact des bords coupants du métal) sur la structure de 2 épaisseurs en commençant par le bas, les écailles sont posées côte à côte horizontalement et superposées verticalement comme ça semble être le cas sur la source.
Les difficultés de cette partie sont :
- Arriver à tomber juste au niveau des bordures de l’encolure et des aisselles, d’où l’intérêt d’avoir gardé de la marge pour corriger le tir en cas d’erreur.
- Calculer soigneusement les rabats d’épaules et le protège-nuque au moment ou ils se rejoignent car je n’ai pas réussi à anticiper suffisamment et ai dû tricher sur une écaille.
Pour le sommet des épaules il a fallu choisir si le sens des écailles devait changer afin de garder l’intérêt de protection des écailles contre un coup vertical ou rester le même pour avoir la continuité pour le rabat d’épaule.
J’ai choisi de garder la continuité car la représentation semble le montrer et la probabilité d’un coup par derrière en phalange est peu probable, mais les deux semblent exister dans d’autres représentations et sont donc aussi valides l’une que l’autre.
Les ptéryges ne sont qu’une formalité dans la mesure où leur largeur a été calculée à l’avance.
A suivre, Fabrication encore en cours
Notes & Références