Torres-Hugon Vincent,
Historien du geste et anthropologue de l’histoire vivante,
Conférencier chez le voyagiste culturel CLIO.

     Cet article est un condensé de la première partie de notre mémoire de 2ème années de master [1] Vincent TORRES, sous la direction de Philippe JOCKEY (2015), « L’apport de l’expérimentation sur l’histoire du geste martial, cas d’étude appliquée : le déplacement au sein de la phalange dite hoplitique, approche expérimentale. » Mémoire 2 d’histoire à l’université d’Aix-Marseille et de la présentation sur l’armement de l’ouvrage « Hoplite, le premier guerrier de l’histoire » [2] Vincent TORRES, Hoplite, le premier guerrier de l’histoire, éditions Heimdal, Bayeux, 2018..

L’armement de l’hoplite grec

     Etymologiquement le terme hoplite renvoie à l’idée du porteur de la panoplie guerrière du fantassin lourd grec du 8ème au 4ème siècles avant notre ère. Il est donc normal pour mieux comprendre ce combattant de bien décrire l’armement composant cette panoplie, car c’est ce dernier qui influe sur ses possibilités martiales sur le champ de bataille. L’objectif de cet article n’est point de faire une étude approfondie de chaque pièce de cet équipement et de son usage, cela sera sans doute l’objet d’autres travaux, mais bien d’en donner une description claire et concise.

le bouclier

     Commençons par l’objet le plus important de tout l’équipement hoplitique, le fameux bouclier rond et creux, « l’Aspis Koilè » [3] Le bouclier rond, appelé hoplon, n’est nommé ainsi que par Thucydide.. Ce bouclier est fait de bois comme nous le prouvent les quelques références textuelles à son sujet ainsi que les rares sources archéologiques qui nous sont parvenues, telles que le bouclier du Vatican. Circulaire (en moyenne 90 cm de diamètre mais cela variait probablement en fonction de la taille du porteur), le bouclier a son centre bombé vers l’extérieur, si bien que l’hoplite peut caler son épaule à l’intérieur du creux ainsi formé afin de mieux en supporter le poids. Pour compléter cette protection, le bombé du boulier possède un rebord appelé méplat qui en fait le tour. Pour le tenir, l’hoplite passe son avant-bras gauche dans l’accroche central du bouclier, le « porpax » et va saisir une poignée nommée « antilabé » situé sur un bord du bombé. Cette double accroche a fait couler beaucoup d’encre dans les ouvrages des historiens modernes. Selon ces derniers c’est cette spécificité qui permit à l’hoplite de mieux manœuvrer son bouclier et de mieux soutenir son poids [4] Sur ce bouclier, voir Pierre DUCREY, Guerre et guerriers dans la Grèce antique. Fribourg, office du livre, 1985.. L’invention de ce système semble si importante qu’Hérodote n’oublie pas d’en mentionner les origines. Cette information démontre que, pour un grec, cette caractéristique technique était de première importance [5] Hérodote, l’Enquête, Livre I / 171 : « …les premiers [il parle des Cariens], ils ont muni les boucliers de courroies [Porpax] où passer le bras ».. En effet ce dernier oblige à affronter l’adversaire de face et facilite le port de « l’Aspis Koilé » par l’hoplite.

     L’association Somatophylaques les a reconstitués et leur poids varie entre 4 et 5 kilos par bouclier [6] Ce poids est légèrement inférieur aux 7 kilos avancés page 341 dans l’étude de Walter DONLAN, James THOMPSON, The charge at Marathon: Herodotus 6.112, The classical Journal vol.71n No.4 PP.339-343, 1976., peut-être à cause du fait que nous n’y avons pas ajouté de recouvrement de bronze. En effet ces derniers ne sont jamais très épais et n’offrent pas une réelle résistance face à un coup de lance. Ils sont plutôt un élément décoratif de l’équipement hoplitique permettant notamment de montrer la richesse et ainsi la puissance de son propriétaire. Cela s’explique par l’absence de recouvrement en bronze qui était certes courant mais pas impératif et majoritaire au sein de l’équipement hoplitique.

Les armes offensives :

     Il faut à présent rappeler que l’hoplite est réputé dans l’antiquité pour être un redoutable lancier, son arme offensive principale est donc le « doru », une lance d’une taille allant de 2 à 2,50 mètres [7] Pour tout ce qui se rapporte à l’armement offensif nous nous référons ici à l’étude de J.K. ANDERSON, Hoplitic Weapons and Offensive Arms , in Hoplites, the Classical Greek Battle Experience, V.D. Hanson, p.15-37, Londres, Routledge, 1991.. Cette dernière est généralement en frêne soit en cornouiller, deux essences offrant une bonne résistance à des hampes souvent assez fines. Le fer de la lance est en forme de feuille de saule mesurant généralement 20 cm. Elle est parfois munie d’un talon en bronze nommé « saurotèr » dont le poids permet notamment d’équilibrer la lance. Bien que cette dernière soit tout à fait apte à mener des affrontements individuels elle demeure surtout une arme simple d’emploi et facile à produire pour équiper des armées de citoyens !

     Bien que la lance soit l’arme offensive la plus importante de l’hoplite, ces guerriers peuvent aussi porter une lame à leur côté bien que celle-ci soit plus rarement représenté dans l’iconographie ainsi que retrouvé en archéologie. Il existe deux types de lames, le premier est le « xiphos ». Lame droite à double tranchant doté d’une nervure centrale, il est apte à tailler ou à estoquer l’adversaire. Le second type de lame est courbé vers l’intérieur et se nomme « kopis », mot grec possédant les mêmes racines que le verbe couper en français. Dotée d’un seul tranchant et plutôt utilisée par les cavaliers, cette arme est essentiellement destinée aux attaques de tranche. L’usage de ces « épées » dans certains affrontements plus longs qu’à l’accoutumé est attesté par les sources antiques, notamment chez Hérodote lorsqu’il raconte la bataille des Thermopyles [8] Hérodote, L’Enquête, Livre VII, 224 : « Leurs lances furent bientôt brisées presque toutes, mais avec leurs glaives [dans le texte,« makaira », terme regroupant l’ensemble des lames grecques], ils continuèrent à massacrer les Perses. ».

Les protections défensives :

     En ce qui concerne l’équipement défensif, l’hoplite porte dans la plupart des cas un casque en bronze « kranos »[mfn]Sur les casques grecs, nous nous référons ici au début de l’ouvrage de Michel FEUGERE : Casques antiques : visages de la guerre de Mycènes à l’Antiquité tardive, Paris, p.7-22, 1994[/mfn]. Cette protection était nécessaire pour protéger le combattant des coups descendants adverses. Généralement le casque atteint les 2 mm d’épaisseur, mais peut parfois atteindre 3 à 5 mm en fonction de la zone du casque (notamment sur la face). Le casque est toujours porté par-dessus une forme de rembourrage composé d’un simple calot en laine ou en lin parfois recouvert de cuir et généralement cousue directement au casque. Peu d’exemples nous sont parvenus aujourd’hui, mais heureusement l’un d’entre eux se trouve en France au Musée d’art classique de Mougins. De plus de nombreux casques grecs exposés dans les musées sont percés de petit trous sur leurs bordures, attestant ainsi la présence de ces rembourrages cousues au métal. Il existe un large panel de « kranos » très différents et ayant avec le temps évolués. Il est toutefois possible d’en dégager plusieurs types principaux. Tout d’abord, le casque le plus emblématique de la période archaïque est bien évidemment le modèle dit corinthien. Ce casque protège l’ensemble de la boite crânienne mais aussi le visage et la nuque de son porteur, mais réduit par là même sa visibilité et ses capacités respiratoires. Des casques toutefois plus ouverts existent à la même période comme par exemple les modèles chalcidien, illyrien, voire béotien, chacun de ces casques ouvrant un peu plus le champ de vision du combattant et permettant une meilleure respiration tout en conservant la protection du crâne. Ils ont tous perduré à la période classique tout en s’affinant. Vers la fin du Vème siècle un casque se répand de plus en plus, le « pylos ». Ce casque ne protège que la boite crânienne, laissant de fait entièrement exposée la face du guerrier. Pourtant des armées importantes l’adoptèrent en masse, telle l’armée spartiate. Certains historiens comme Jon Edward Lendon y voient une provocation de ces derniers qui afin de prouver leur courage refusaient de cacher leurs visages à leurs adversaires[mfn]Jon Edward LENDON, Soldats et Fantômes : Combattre pendant l’Antiquité, Editions Tallandier, collection Antiquité, p.75, 2009.[/mfn]. Quoiqu’il arrive, il est important de noter que la boite crânienne est toujours protégée, peu importe le type de casque.

A cette protection défensive de l’hoplite, il est courant d’ajouter les « cnémides » et le « thorax ». Certes, au début des guerres hoplitiques, à cette période archaïque où seuls des fermiers aisés se payaient la coûteuse panoplie et s’affrontaient entre gens du même milieu, ces pièces d’équipement étaient omniprésentes. Mais dans les périodes plus tardives, il est courant de voir un grand nombre d’hoplites de basse extraction aller au combat sans ces matériels coûteux[mfn]Pour toutes les références sur l’engagement d’hoplites de basse extraction équipés au dernier moment avec le minimum de ce qui fait un hoplite, à savoir un bouclier, une lance et si possible un casque protégeant la boite crânienne, voir Victor Davis HANSON, Le modèle occidental de la guerre, La bataille d’infanterie dans la Grèce classique, Les Belles Lettres, collection Histoire, p.61, 1990.[/mfn]. D’ailleurs, même les professionnels de la guerre que furent les hoplites mercenaires de l’Anabase de Xénophon, ne semblaient pas tous porter des équipements si lourds et pouvaient partir au combat sans ces derniers :

« […] tous les grecs portaient des casques d’airain, des tuniques de pourpre, des cnémides et des boucliers hors de l’étui »[mfn]Xénophon, Anabase, Livre 1, II/16[/mfn]

Cet extrait démontre que le port de la cuirasse ou même d’une protection de thorax, semblait déjà secondaire. Victor Davis Hanson a bien montré que la panoplie complète était un fardeau que les hoplites rechignaient à endosser trop tôt avant le combat[mfn]Sur l’encombrement du matériel hoplitique complet : Victor Davis HANSON, Le modèle occidental de la guerre, La bataille d’infanterie dans la Grèce classique, Les Belles Lettres, collection Histoire, p87-99, 1990.[/mfn]. Ces protections furent de moins en moins répandues à la période classique, période de la disparition progressive de la guerre rituelle.

Les « cnémides » sont des protections souples en bronze (1mm d’épaisseur) allant de la cheville jusqu’au-dessus du genou. Elles épousent parfaitement la morphologie des jambes de leur porteur et tiennent grâce à l’élasticité du métal qui vient se refermer derrière les mollets. Bien qu’elles fussent parfois portées à même la peau, il devait exister certains modèles avec des rembourrages internes. Là encore l’étude des artefacts exposés dans les collections de musées nous a permis de mettre en exergue l’existence de bords entièrement percés sur certains modèles, et permettant la fixation par couture d’élément de rembourrage.

Le « thorax », surtout porté à la période archaïque est une armure en bronze (2 à 3mm) protégeant le torse et ayant grandement évolué à travers le temps, passant d’une forme simple en cloche, à des œuvres d’arts moulant et imitant la musculature du guerrier. Les faces avant et arrière sont liées à l’aide de charnière au niveau des épaules, et attachées à l’aide de sangle sur les côtés. Parfois un rajout couvrant l’abdomen et le bas ventre y est fixé. Cette armure lourde pèse de 15 à 20 kilos, elle fut pour cette raison progressivement remplacée par des modèles plus légers en cuir, « spolas », ou en lin, « linothorax », que nous ne décrirons pas ici mais qui remplisse une fonction similaire, la protection du torse du combattant. Toutefois il est intéressant de noter que seul le « thorax » en bronze permet au guerrier de ne pas être compressé entre les différents rangs de sa formation au moment du choc et de la poussée phalangique.

Conclusion

Nous l’avons vu, l’équipement de l’hoplite varie d’un combattant à un autre au sein de la même phalange. Mais trois éléments sont récurrents et indispensables, un bouclier à double accroche pour s’insérer dans la formation, une lance pour se battre, et une protection de la boite crânienne pour se protéger de la grande majorité des coups adverses.

bibliographie

  • J.K. ANDERSON, Hoplitic Weapons and Offensive Arms , in Hoplites, the Classical Greek Battle Experience, V.D. Hanson, p.15-37, Londres, Routledge, 1991.
  • Walter DONLAN, James THOMPSON, The charge at Marathon: Herodotus 6.112, The classical Journal vol.71n No.4 PP.339-343, 1976.
  • Pierre DUCREY, Guerre et guerriers dans la Grèce antique, Fribourg, office du livre, 1985.
  • Michel FEUGERE : Casques antiques : visages de la guerre de Mycènes à l’Antiquité tardive, Paris, 1994.
  • Victor Davis HANSON, Le modèle occidental de la guerre, La bataille d’infanterie dans la Grèce classique, Les belles lettres, collection Histoire, 1990.
  • Jon Edward LENDON, Soldats et Fantômes : Combattre pendant l’Antiquité, Editions Tallandier, collection Antiquité, 2009.
  • Vincent TORRES, sous la direction de Philippe JOCKEY (2015), « L’apport de l’expérimentation sur l’histoire du geste martial, cas d’étude appliquée : le déplacement au sein de la phalange dite hoplitique, approche expérimentale. » Mémoire 2 d’histoire à l’université d’Aix-Marseille.
  • Vincent TORRES, Hoplite, le premier guerrier de l’histoire, éditions Heimdal, Bayeux, 2018.

Sources primaires :

  • HERODOTE, L’enquête, Livres I à IV, Traduction Andrée Barguet, Gallimard collection Folio, Paris, 1985.
  • HERODOTE, L’enquête, Livres V à IX, Traduction Andrée Barguet, Gallimard collection Folio, Paris, 1990.
  • XENOPHON, Œuvre Complète 2 : Anabase – Economique – Le banquet – De la chasse – La république des Lacédémoniens – La république des Athéniens, Traduction Pierre Chambry, Garnier-Flammarion, 1967.

Notes & Références[+]