Image d’arrière plan : détail de Marseille colonie grecque, Pierre Puvis de Chavannes, 1869, Musée des Beaux-Arts de Marseille

Vincent Torres-Hugon,
Président de l’association les Somatophylaques

Vous pouvez retrouvez les parties 1 et 2 de cet article en suivant les liens ci-dessous : 

La Marseille antique : l’épopée de Massalia (1/3)
La Marseille antique : l’épopée de Massalia (3/3)

Partie 2 : ORGANISER LA CITE

Le commerce massaliote

En 600 avant Jésus-Christ, le but premier de l’implantation des Phocéens à Massalia était avant tout le commerce. La ville fut d’abord un lieu d’échange avec les locaux de produits provenant du monde grec. Les victoires successives des Massaliotes permettent aux Grecs d’implanter la vigne et l’olivier qui n’existaient pas auparavant en Gaule.

Cette production de vin est d’ailleurs une des principales « monnaies » d’échange avec le monde celte. Grâce à un réseau de clientélisme, les Massaliotes réussissent à la fois à exporter leur production de vin dans le monde méditerranéen, mais surtout à l’échanger avec les chefferies celtes contre de l’étain, mais aussi de l’ambre.

Scène de récolte d'olives par des adolescents. Amphore à col attique à figures noires du peintre d'Antiménès, vers 520 av. J.-C, Londres, British Museum
L’ambre, provenant de la mer Baltique était très recherchée à l’époque antique. Elle servait principalement à la confection de luxueux bijoux.

Des forts et des comptoirs commerciaux importants

Le détroit de Gibraltar étant alors contrôlé par Carthage, l’approvisionnement en étain du monde grec dépend en grande partie de Marseille. Le contrôle de cette route commerciale permet à Marseille de s’enrichir grandement. Les échanges maritimes s’intensifiant, la menace de pirates ligures se fit de plus en plus pressante. Pour lutter face à cette dernière, les Massaliotes fondèrent des petites forteresses et des petits comptoirs commerciaux sur un toute la côte, de Marseille à Nice vers l’est et à Ampurias à l’ouest, comme nous pouvons le voir sur la carte ci-dessous. Nice (Nikaia), Antibes (Antipolis), Hyères (Olbia), Six-Fours (Tauroentium), la Ciotat (Citharista), Arles (Rhoudhanousia / Thélinè), Agde (Agathé Tychè) : toutes ces villes sont le fruit de cette route commerciale créée par les Massaliotes, fondées au gré des étapes traversée par celle-ci.

C’étaient des refuges qui permettaient aux navires de s’abriter des tempêtes, mais aussi des pirates. Depuis ces dernières, les Massaliotes combattaient sur terre et sur mer les Ligures gênants, tout en élargissant le réseau de clientélisme de la ville. Toutes ces villes ne sont que l’extension de la polis qui, plutôt que de s’étendre vers l’intérieur des terres, préféra asseoir sa domination sur les côtes, assurant ainsi son commerce.

L’impact du commerce massaliote est perceptible grâce aux nombreux fragments d’amphores massaliotes retrouvés dans le monde celte, mais aussi les objets de prestiges tels que le cratère de Vix trouvé en actuelle Bourgogne et témoignant de l’ampleur des échanges. Massalia frappe même sa propre monnaie qui servira aux échanges avec le monde celte. Ces derniers frapperont même, à un certain moment, leur propre monnaie ou à faire des imitations des monnaies massaliotes.

Célèbre cratère en bronze retrouvé dans une tombe aristocratique celte à Vix

La politique et les moeurs

Les auteurs anciens se plaisent à décrire l’exemplarité du modèle politique de la ville de Massalia. La ville ne souffrit apparemment jamais de la redoutable stasis (guerre civile) tant redoutée par les cités-États grecques. Nous connaissons son système politique grâce à de nombreuses occurrences dans les sources textuelles, et surtout grâce à l’œuvre qu’Aristote lui a dédié : La Constitution des Massaliotes, qui ne nous est malheureusement parvenue que par fragments.

La cité a adopté très tôt un modèle oligarchique, réservant aux riches familles de marchands issues des premiers colons la gouvernance de la cité.

Puis le système devint un système aristocratique, basé sur deux critères : la lignée et le mérite. Le gouvernement est constitué de 600 timouques élus à vie, occupant les postes importants de la ville et possédant le pouvoir juridique. Ces timouques doivent être massaliotes depuis trois générations et surtout doivent être méritants et vertueux. Pour obtenir assez de mérite et devenir timouques, fonder un foyer et être père était obligatoire. De même la vertu s’exprimait notamment à travers la piété et le respect des lois. Le pouvoir exécutif est confié à quinze timouques. Parmi ces derniers sont choisis les trois plus méritants chargés de gouverner la cité, et l’un d’entre eux est placé à la tête de l’Etat.

Au centre, un timouque. (reconstitution)

Ce système politique semble avoir perduré sans trop de modifications durant toute l’histoire massaliote, soit 550 ans !

Des mœurs contrôlées

La ville était régie par des lois ioniennes qui contrôlaient notamment les mœurs des habitants. Ainsi les femmes sont interdites de consommation d’alcool comme dans la ville ionienne de Milet en Asie Mineure. Parmi les lois de la cité, certaines s’attachaient surtout à limiter l’expression ostentatoire de la richesse des citoyens. L’ostentation qui avait lieu lors de certains rites funéraires était alors proscrite, et les parents du défunt devaient conserver leur dignité dans le deuil et ne pas s’adonner à de grandes dépenses pour du mobilier funéraire. Ces mesures permirent apparemment de ne pas attiser la jalousie des citoyens plus pauvres de la cité, et facilitèrent la paix sociale de l’État.

Ephèbes s'entraînant à la lutte. (reconstitution)

L’éphébie massaliote

Une autre institution politique d’importance est avérée à Marseille : l’éphébie. Cette institution, commune au monde grec, et notamment à Athènes, imposait aux jeunes grecs un service militaire allant de deux à trois ans selon les cités. Durant leur éphébie, les jeunes Massaliotes s’entraînaient aux arts gymniques (notamment la lutte, la course et le lancer de javelot, utiles en tant de guerres), mais aussi martiaux comme le combat à la lance, l’archerie et l’utilisation de machines de guerre. (12 Reconstitution d’éphèbes s’entrainant à la lutte) Ces éphèbes devaient sans doute recevoir une éducation civique leur inculquant l’importance pour une cité comme Marseille de pouvoir compter sur des citoyens prêts à la défendre contre toutes les menaces environnantes. L’éphébie se concluait généralement par une année d’affectation à des postes reculés, soit des tours de guet, soit des avant-postes frontaliers en milieux naturels, visant à surveiller le territoire marseillais et à endurcir les futurs citoyens.

Il semble que ce système politique, qui refusait toute forme de démocratie, mais limitait le pouvoir des riches en donnant avant tout le pouvoir aux meilleurs citoyens ayant appris dès leur plus jeune âge l’intérêt supérieur que représente la cité, ait permis à Massalia d’échapper à la stasis si fréquente dans le monde grec. Cette stasis est par exemple l’une des principales causes de la défaite athénienne durant la guerre du Péloponnèse. 

L’urbanisme de la ville de l’époque archaïque à l’époque hellénistique

La ville de Massalia fut dès le VIème siècle protégée par une muraille dont les bases étaient constituées de blocs de calcaire blanc et de briques de tuf. La ville se dota dès le IVème siècle d’une nouvelle enceinte, prenant place sur la première, et cette fois-ci remplaçant les briques par des blocs en tuf. Les portes de la ville furent flanquées de grandes tours quadrangulaires et de fossés protégeant les points sensibles.

Restes des tours quadrangulaires protégeant les portes de Massalia

L’astu de Massalia (c’est-à-dire le territoire intramuros, qui, avec la campagne, la chora, compose la polis) s’étendait sur toute la corne du Lacydon et occupait principalement l’actuel quartier du Panier à Marseille.

L’élément le plus important de la ville était son port. Ce dernier servait à la fois d’arsenal militaire, de port de pêche et de port de commerce. C’est d’ailleurs l’un des éléments que citent César et Strabon dans leurs récits sur Marseille.

La ville était traversée par une grande voie centrale (l’actuelle rue Henri Fiocca) et comportait tous les éléments d’une ville hellénique classique.

Des lieux de culte

La ville était traversée par une grande voie centrale (l’actuelle rue Henri Fiocca) et comportait tous les éléments d’une ville hellénique classique. Elle était dotée de plusieurs temples, un d’Athéna, un d’Apollon, et un principal consacré à l’Artémis d’Éphèse. Ce culte, primordial pour la cité, fut importé dès la fondation de la cité par une prêtresse d’Artémis, Aristarché, et relie d’autant plus la ville de Marseille au monde grec ionien d’Asie Mineure. Ce temple d’Artémis qui était installé sur une hauteur de la ville (son implantation exacte n’étant pas attestée, nous ne la mentionnerons pas ici) était semble-t-il visible. Ce culte principal est attesté par Strabon, qui au livre IV de sa Géographie dit : 

Statue héllénistique d’une Artémis d’Ephèse, Musée d’Histoire de Marseille

« On raconte, en effet, qu’au moment où les Phocéens quittaient le rivage de leur patrie, une parole fut entendue qui leur disait de prendre pour chef de leur expédition l’homme qu’ils recevraient d’Artémis d’Éphèse. Ils cherchèrent comment se procurer le guide prescrit par la déesse. Or, voici qu’Aristarchè, l’une des femmes les plus considérées de cette ville, vit en songe la déesse se dresser devant elle et lui ordonner de s’embarquer avec les Phocéens en prenant avec elle de quoi fonder une succursale. Cet ordre ayant été exécuté, quand les colons atteignirent le terme de leur expédition, ils fondèrent le sanctuaire et honorèrent Aristarchè de la plus haute dignité en la faisant prêtresse… »

Strabon, IV, 1, 4, traduction de F. Lasserre

La ville était dotée d’une nécropole, et si les fouilles archéologiques n’ont pu qu’exhumer de rares tombes, elles attestent de la propension des Massaliotes à l’inhumation. La mode de l’incinération ne serait venue qu’avec les contacts avec le monde romain aux IIIème et IIème siècles avant Jésus-Christ. Ces tombes aux mobiliers austères attestent des modes de funérailles sobres adoptées par les Massaliotes et décrites par un historien romain du Ier siècle de notre ère, Valère Maxime :

« Devant les portes de Marseille se trouvent deux caisses destinées à recevoir, l’une les corps des hommes libres, l’autre ceux des esclaves. On les porte ensuite sur un char au lieu de la sépulture sans accompagnement de lamentations ni de démonstrations de douleur. »

Valère Maxime, Actions et paroles mémorables, livre II, VI, 7, traduction de P. Remacle

La ville fut au milieu du IVème siècle dotée de bains qui ont pu être fouillés dans l’actuelle rue Leca. Ces thermes étaient principalement constitués d’une grande pièce carrée de 13 mètres de côté à laquelle s’adjoignent deux ailes plus petites. Les bains comportaient neuf pièces permettant les différentes étapes de la toilette grecque et étaient dotés, outre d’un grand bassin, de salles destinées à la sudation et de nombreuses petites cuves qui contenaient des petites baignoires individuelles en terre cuite. Ces dernières disposées autour du grand bassin étaient très nombreuses (au minimum 35) et faisaient de ce complexe l’un des plus grands du monde grec (seuls les thermes d’Athènes ont pour le moment révélé un plus grand nombre de cuves). 

Des mentions textuelles de gymnasarchie et de chorégie, liturgie à la charge d’un citoyen riche qui devait payer l’entretien dans le cas des gymnasarchies des gymnases de la ville, et dans le cas des chorégies, l’entretien de chœur d’enfants et d’adultes prouve que la ville possédait au minimum un odéon ou un théâtre en bois. Les gymnases quant à eux devaient exister, comme nous le prouve cette mention de gymnasarchie et l’institution de l’éphébie. L’archéologie n’a pu toutefois dévoiler leurs emplacements.

Maquette de la ville de Massalia, Musée d’Histoire de Marseille

Pour aller plus loin…

Un commentaire sur “La Marseille antique : l’épopée de Massalia (2/3)

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