Torres-Hugon Vincent,
Historien du geste et anthropologue de l’histoire vivante,
Conférencier chez le voyagiste culturel CLIO.

L’influence grecque sur la civilisation étrusque

     Au début de la seconde moitié du XVIIIe, « une célèbre querelle éclate entre le Français Pierre-Jean Mariette, graveur et essayiste, et l’illustre Giovanni Battista Piranese [1] Jean-Paul THUILLIER, Les Étrusques la fin d’un mystère, découverte Gallimard, 1990, p.25 » . Le sujet de cette dispute ? L’italien affirme que la civilisation romaine doit tout aux Étrusques et rien aux Grecs. Le français rétorque, pour résumer, que c’est peut-être vrai, mais que cela importe peu, car les Étrusques sont des Grecs ! 

Académie de Cortone

     La dispute agite l’ensemble du monde intellectuel de l’époque qui se passionne alors pour cette nouvelle civilisation pour laquelle depuis quelques décennies une académie a été fondée à Cortone en Toscane.    

     Il faut dire qu’au XVIIIe puis au XIXe siècle les fouilles et découvertes dans les nécropoles étrusques longtemps tombées dans l’oubli se multiplient et exhument des quantités impressionnantes de vases et d’objets d’art d’une grande finesse. Songez-y, on y a trouvé plus de vases grecs antiques qu’en Grèce même ! Pour de nombreux Italiens, surtout les Toscans et les Latins, cette découverte permettait d’affirmer l’authenticité italique de la civilisation romaine et sa suprématie sur celle des Grecs en un temps où une hiérarchisation de ces cultures importait pour ces nations en devenir. Aujourd’hui la « mystérieuse » civilisation étrusque nous est bien mieux connue et bien que certains débats restent vivaces, les opinions sont bien moins tranchées qu’au XVIIIe siècle. À la question majeure d’autrefois portant sur les Étrusques : d’où viennent-ils ? Les grands spécialistes contemporains répondent avec sagesse : leurs origines sont multiples et donc la question importe peu. Parmi ces origines, et n’en déplaise à Piranese, il y a la civilisation grecque. Ainsi notre propos dans cet article sera de faire un point sur l’influence des Hellènes sur la culture étrusque.

Histoire rapide des Étrusques

     Mais avant cela une courte présentation de cette dernière s’impose :

Carte de l’Étrurie

      Les Étrusques sont un peuple italique dont la civilisation s’est développée entre le IXe et le VIIe siècle avant notre ère (toutes les indications temporelles de l’article se situent dès à présent avant notre ère). Cette culture dite « villanovienne [2] Du nom d’un site localisé dans la plaine padane ayant donné de nombreux vestiges de cette période. » s’est progressivement installée sur l’ère territoriale qui sera plus tard celle des Étrusques, c’est-à-dire la Toscane et l’Ombrie, entre l’Arno et le Tibre. Dès le VIIe siècle cette civilisation se met à écrire dans sa langue et développe un réseau de cités importantes commerçant avec l’Europe continentale ainsi que la Méditerranée. Béni d’être à la fois sur des voies de communication importantes, mais aussi sur un territoire fertile possédant en sus de précieuses ressources minières, notamment de fer, le peuple étrusque va connaitre une grande prospérité issue principalement de son commerce avec les peuples grecs installés au sud de la péninsule italique.

     Atteignant son apogée au VIe siècle, la civilisation étrusque s’étend alors dans la plaine de la vallée du Pô au nord de l’Italie et en Campanie. Elle donne d’ailleurs à cette période plusieurs rois à la ville de Rome qui n’est alors qu’une petite cité vis-à-vis des agglomérations étrusques ou grecques d’Italie. Leurs qualités d’artistes sont alors prisées et leurs modes de vie raffinés font jaser les Latins comme les Grecs à leur sujet. Finalement, les Étrusques connaitront un lent et long déclin, battus par leurs rivaux commerciaux grecs en méditerranée au Vème siècle, souffrant des raids celtes et de leur implantation au nord de l’Italie au IVème siècle, et de l’inexorable expansion romaine qui au IIIème siècle finira par mettre au pas l’ensemble des villes étrusques. Finalement, ces derniers seront définitivement assimilés à la culture romaine lors de la fondation du « Principat » (que nous appelons Empire), peu avant le début de notre ère chrétienne.  

Un alphabet grec

     Maintenant que les présentations d’usage sont faites, attaquons le cœur de notre sujet, l’influence grecque sur cette civilisation. 

     Si la langue étrusque semble bien, comme l’affirmait déjà Denys d’Halicarnasse [3] Ce rhéteur et historien grec ayant exercé son art sous Auguste consacre un long passage de son ouvrage « antiquités romaines » aux Étrusques (livre I, chapitre 26 à 30) , être une langue autochtone sans rapport avec les langues indo-européennes dont sont issus le grec et le latin, les Étrusques ne la mirent jamais à l’écrit avec un système d’écriture original propre. 

     En effet l’une des premières influences que nous pouvons dès à présent souligner est l’adoption de l’alphabet grec par les Étrusques à la fin du VIIIe et au début du VIIe siècle. Le fait est bien attesté par l’archéologie qui a mis au jour à Tarquinia et Caere (deux villes étrusques) des inscriptions de cette période [4] Dominique BRIQUEL, La civilisation étrusque, Arthèmes Fayard, 1999, p.19, on retrouve à la même page un abécédaire comparé permettant de mettre clairement en évidence l’emprunt des Étrusques à l’abécédaire grec .

     Cet alphabet grec peut toutefois sembler déroutant aux hellénistes d’aujourd’hui pour deux raisons. D’abord parce que ce dernier est généralement écrit de droite à gauche, inversant ainsi le sens des lettres, mais aussi parce qu’il est issu d’un alphabet grec originaire de la cité de Chalcis [5] Dominique BRIQUEL, La civilisation étrusque, Arthèmes Fayard, 1999, p.20, et pour cause, ils sont les premiers Grecs à s’installer à Pithécusses (début VIIIe) et Cumes, en Campanie et ainsi à échanger probablement avec les Étrusques dès la fin du VIIIe siècle.

     Ainsi si quelques variations existent entre l’écriture grecque employée à Athènes à la période classique (la plus connue et enseignée de nos jours) notamment issue d’un écart temporel entre les deux écritures et de légères adaptations effectuées par les Étrusques pour exprimer certaines particularités de leurs langues, l’immense ensemble que représente l’épigraphie étrusque est bel est bien écrit en lettres grecques. 

     Rappelons toutefois avant de crier « Niké [6] Victoire en grec » que cet alphabet fut lui-même emprunté par les Grecs aux Phéniciens, un siècle plus tôt.

Les origines du peuple étrusque

     Bien que la question ne soit plus au cœur des préoccupations des chercheurs [7] Les origines d’un peuple sont, en histoire, souvent multiples et complexes, découlant de nombreux facteurs, certes en partie migratoires, mais aussi commerciaux, culturels et locaux. , il est intéressant d’y revenir ici un instant pour souligner un autre impact de la culture grecque en lien avec l’écriture sur la civilisation étrusque : l’historiographie grecque. En effet les Étrusques rentrent littéralement dans l’histoire (dans le sens de discipline historique) en étant évoqués pour la première fois dans un texte extérieur à leur monde par l’illustre Hérodote, « père de l’histoire » [8] Dominique BRIQUEL, La civilisation étrusque, Arthèmes Fayard, 1999, p.53. Dans son livre I de l’Enquête (« Historia » en grec), il évoque l’origine orientale des Étrusques. Ces derniers seraient issus de la moitié de la population lydienne ayant fui une longue famine pour se réfugier en Italie. Ils auraient ainsi suivi Tyrrhènos, le fils du roi de Lydie et en aurait hérité le nom par lesquels les Grecs les nomment, les Tyrrhéniens. Cette appellation est lourde de sens, car les Grecs baptisèrent ainsi par la suite la mer qui borde le territoire antique étrusque. 

Buste d’Hérodote, Wikipédia-Commons

     De même, ils appelèrent la mer Adriatique du nom d’une de leurs cités, « Adria » où ils avaient un comptoir. Ces noms de mers sont encore en usage aujourd’hui. Si cette origine pleinement lydienne est aujourd’hui contestée, il n’en demeure pas moins que par la suite pour les Romains tout comme les Étrusques, le lien entre l’Asie mineure et l’Italie était fait. Des témoignages de Tacite nous évoquent ainsi des rapprochements entre la ligue étrusque et la Lydie dès l’époque antique sous le prétexte de cette prétendue origine commune [9] Jean-Noël ROBERT, Les étrusques, les Belles Lettres, Paris, 2004, p.26. De plus une autre tradition issue de Hellaniscos de Lesbos (contemporain de Hérodote) évoque une origine pélasgique [10] Les Pélasges seraient les populations autochtones de la Grèce avant l’arrivée des Grecs eux-mêmes. aux Étrusques. Ces derniers auraient en effet fui l’arrivée des Grecs en Thessalie pour aller s’installer dans la péninsule italienne. 

     Nous savons aujourd’hui grâce à l’archéologie que la naissance des villes étrusques est issue du rassemblement progressif de villages de culture villanovienne entre le IXe et le VIIIe siècle [11] Jean-Paul THUILLIER, Les Étrusques la fin d’un mystère, découverte Gallimard, 1990 p.54 -56. À cette urbanisation progressive, s’est ajoutée une hiérarchisation plus forte de la société donnant naissance à une aristocratie qui rapidement importa des objets prestigieux venue d’Orient, et notamment de Grèce (nous y reviendrons) [12] Jean-Noël ROBERT, Les étrusques, les Belles Lettres, Paris, 2004, p.34. Par la suite les cités étrusques devinrent des plaques tournantes commerciales et s’insérèrent dans les réseaux de clientélisme méditerranéens. En réalité les récits fondateurs cités plus haut avaient deux objectifs. Ils pouvaient soit créer des oppositions permettant de renier à une population son appartenance au monde civilisé et ainsi l’affronter dans une forme de guerre « juste » ; soit ils se devaient de créer des liens de parenté entre les peuples afin de renforcer leurs partenariats commerciaux. 

Urne biconique villanovienne fermée par un casque

     Nombre de mythes de fondation des cités étrusques s’inscriront donc dans une filiation légendaire avec la chute de la cité de Troie, située sur le territoire de l’antique royaume de Lydie, et Rome n’y fit pas exception. Ainsi les Grecs inspirèrent aux Étrusques, mais aussi aux Romains leurs récits fondateurs issus de leurs propres traditions littéraires, au premier plan desquels l’Illiade.

Mythologie - Religion

     Outre cet emprunt à la littérature homérique, les Étrusques ont adopté dès le VIIe siècle certains mythes et récits légendaires grecs [13] Idem p.149 qu’ils n’hésitaient pas à faire figurer sur leurs tombeaux.

     Dans cette même lignée, il faut savoir qu’ originellement les dieux étrusques, qu’ils appelaient « Aisar » n’avaient ni aspect ni sexe. C’est au contact de la Grèce que progressivement leurs divinités devinrent anthropomorphes [14] Jean-Paul THUILLIER, Les Étrusques, éditions Clio, collection Chronoguide, 2002 p.42-44 et que certains dieux entrèrent dans leur panthéon.

 

     C’est le cas notamment d’Apollon et Artémis (couple divin purement hellène), mais aussi du célèbre Héraclès qu’ils nommèrent « Hercle ». Attention cependant, les Étrusques ne récupérèrent qu’une partie des dieux grecs et les adaptèrent à leur propre religion. Religion issue, chose particulière pour l’époque, de la révélation d’un prophète (« Tagès »), de sa méthode pour communiquer avec les dieux et d’un ensemble de rituels à respecter pour les honorer. Cette « disciplina etrusca », s’appuyant notamment sur des augures et haruspices très méticuleux fut admirée puis récupérée par les Latins [15] Pour en savoir plus Jean-Noël ROBERT, Les étrusques, les Belles Lettres, Paris, 2004 p.149-186.. Parmi les modifications qu’apportèrent par exemple les Étrusques aux cultes des divinités grecques, leur « Hercle »  finit par obtenir le pardon de la déesse Héra qui

devient ensuite sa mère d’adoption et va elle-même l’emmener dans l’Olympe.

     Il faut toutefois noter que si le plan du temple dit toscan [16] La classification des formes de temple fut effectuée par l’architecte romain Vitruve au Ier siècle avant notre ère est celui que les Romains attribuaient aux Étrusques, bon nombre de ses caractéristiques et modèles décoratifs sont inspirés des modèles de temples qui étaient alors érigés en Grèce et en Grande Grèce. 

     Enfin il est un signe qui ne trompe pas quant au rapprochement religieux (et par là-même politique) effectué par le monde étrusque vers le monde grec, ce sont les dépôts votifs effectués par des rois étrusques dans le grand site panhellénique de Delphes.

      Pausanias nous dit même qu’ils furent les premiers barbares à le faire [17] Pausanias livre V, 12 ; 5.. Par la suite les cités de Tarquinia et Caere érigèrent même des trésors en l’honneur d’Apollon au milieu des trésors grecs, symbole marquant de leur intégration progressive au sein du monde grec [18] Dominique BRIQUEL, La civilisation étrusque, Arthèmes Fayard, 1999, p.90.

Organisation en cité

     Tout comme les Grecs, les Étrusques connurent entre le IXe et VIIe siècle un phénomène de synœcisme [19] « Réunion de plusieurs villages en une cité. (Les synœcismes ont été fréquents dans la Grèce antique.) » Définition tirée du dictionnaire Larousse en ligne.. En effet nombre d’anciens lieux d’implantation villanovienne disparurent au profit de plus vastes centres urbains, bien souvent implantés sur des hauteurs et ayant leur propre nécropole. L’archéologie a exhumé de ces tombes villanoviennes nombre d’informations précieuses. Tout d’abord, dans les premiers temps une généralisation de l’incinération dans l’ensemble de l’aire géographique qui sera celle des futurs Étrusques, puis en second lieu l’apparition dans les tombes d’un riche mobilier funéraire comprenant dans les tombes des hommes un armement assez uniforme, marque d’une forme d’égalité relative au sein des guerriers-paysans villanoviens.

     Mais avec les synœcismes, les choses semblent changer au tournant du VIIe siècle. Certaines tombes s’embellissent ostensiblement et marquent l’émergence d’une hiérarchisation plus forte de la société. 

     Cette aristocratie naissante et l’accroissement de ces centres urbains doivent en grande partie leur émergence à l’accélération des relations commerciales avec les Grecs qui surent profiter d’anciens nœuds de communication pour établir leurs propres réseaux.  

     La ville de Tarquinia, qui selon l’historiographie étrusque est la plus ancienne de leur cité développe dès son origine un port du nom de Gravisca, qui est très vite dédié au commerce avec les étrangers. Parmi ces derniers, les Grecs ont une place d’importance, ils s’installent dans cette ville et y érigent même des temples à Héra, Aphrodite et Apollon [20] Jean-Noël ROBERT, Les étrusques, les Belles Lettres, Paris, 2004, p.66. De plus la ville étrusque « Adria », située au débouché de la plaine padane, semble être devenue un « emporion » (port commercial) si important que les Grecs finirent par baptiser la mer qui la bordait de son nom, l’Adriatique [21] Dominique BRIQUEL, La civilisation étrusque, Arthèmes Fayard, 1999, p.123.

     Le cas le plus flagrant de cette influence dans la naissance de ces cités commerciales à propension aristocratique est bien évidemment celui de la ville de Caere. Cette cité du sud de l’Étrurie, près de la mer, dont le port Pyrgi atteste à la fois d’échanges avec les Grecs et les Phéniciens (les fameuses tables de Pyrgi en sont un précieux témoignage), porte un nom qui d’après les légendes pourrait être tiré du grec « xaire», ce qui signifie en grec « bienvenue » [22] Jean-Noël ROBERT, Les étrusques, les Belles Lettres, Paris, 2004, p.67

     Cette cité, nous l’avons déjà vu, finira même par ériger un trésor dans la ville de Delphes, signe étroit de leur affinité avec la Grèce.

     Enfin, le signe le plus flagrant de l’influence grecque au sein des cités étrusques est l’adoption dès le VIe siècle du plan Hippodaméen. Ce modèle grec d’implantation urbaine raisonnée organisant la cité en damier se répandit semble-t-il au sein des vieilles cités étrusques. Du moins c’est ce que semble indiquer l’organisation d’une partie des nécropoles du VIe siècle qui furent retrouvées à Orvieto ou encore dans une partie de la Banditaccia à Cerveteri. L’exemple même de cette adoption demeure la cité étrusque de « Kainua ». Cette ville commerciale et industrielle fondée à la fin du VIe siècle au sud de « Felsina » (actuelle Bologne) est incontestablement bâtie sur ce modèle avec ses rues rectilignes se coupant à angles droits et formant des ilots d’habitations réguliers [23] Idem p.80.

Objets et art grec inspirant par la suite les artistes étrusques

     Comme nous l’avons déjà dit, l’émergence des cités étrusques coïncide avec le développement des relations commerciales entre les Étrusques et les Grecs entre les VIIIe et VIIe siècles. Les Grecs venaient en Étrurie pour obtenir les précieuses ressources métallurgiques qui leur faisaient défaut ; l’étain, le plomb, l’argent, le cuivre et surtout le fer. Au début ils transforment directement les éponges de fer brut sur leur territoire. En effet « Aithaleia » (noircie par le feu) est le nom grec de l’ile d’Elbe, lieu où les plus importantes mines se trouvaient, qui très vite n’avait plus assez de bois pour effectuer la réduction des minerais [24] Idem p.112

      En échange les Étrusques importent de Grèce de nombreux objets d’art très prisés par l’aristocratie étrusque naissante. Les premiers objets grecs retrouvés en Étrurie datent du VIIIe siècle. Ce sont notamment des vases eubéens attestant des échanges avec les Grecs de Pithécusses et Cumes (colonies eubéennes). Très vite il semble même que des artistes grecs s’installèrent directement dans les villes étrusques et qu’ils transmirent leur savoir-faire à des artistes locaux. On retrouve alors des vases de forme étrusque peints avec des techniques grecques. Ainsi, une première mixité naît, au moment même de la naissance de la civilisation étrusque [25] Dominique BRIQUEL, La civilisation étrusque, Arthèmes Fayard, 1999, p.106-109

     Un événement de l’histoire étrusque bien connu aujourd’hui grâce aux sources romaines atteste de ce phénomène. C’est l’arrivée au milieu du VIIe siècle à Tarquinia d’un membre de la famille royale de Corinthe, Démarate. Chassé de sa ville natale par le tyran Cypsélos, Démarate vint avec nombre de ses fidèles se réfugier loin de Corinthe dans une cité étrusque avec laquelle il devait être en relation d’hospitalité [26] A l’époque antique, les relations commerciales s’accompagnent de liens d’hospitalité réciproques qui lient entre elles des familles pourtant éloignées géographiquement, voir culturellement.. Le fils qu’eut Démarate avec l’Étrusque Lucumon (signe de son intégration dans sa nouvelle patrie), allait plus tard devenir le cinquième roi de Rome sous le nom fameux de Tarquin l’ancien.

     Le plus important à relever dans cette histoire est le témoignage concret de l’arrivée avec Démarate de nombreux potiers et artisans grecs. On retrouve incontestablement leur influence dans les magnifiques peintures des nécropoles, dont celles de Tarquinia nous sont justement parvenues.

     Tout comme pour les vases produits sur place, ces peintures sur enduit frais (fresques) furent probablement à l’origine effectuées par des artistes grecs qui surent transmettre leurs savoirs à leurs hôtes. Ainsi les Étrusques prirent par la suite le relais et continuèrent à reproduire ce modèle en y ajoutant des effets et des thèmes qui leur étaient propres [27] Jean-Paul THUILLIER, Les Étrusques, éditions Clio, collection Chronoguide, 2002 p.60-64.

Tradition du banquet, sport et jeux

      Parmi les thèmes les plus représentés sur les parois peintes des nécropoles étrusques, le banquet est incontestablement le plus récurrent. Et pour cause, les croyances étrusques considéraient que le mort lui-même participait tout d’abord aux festivités organisées à ses funérailles, mais surtout continuait ainsi son existence dans l’au-delà.

     Or ce type de banquet est une importation grecque [28] Dominique BRIQUEL, La civilisation étrusque, Arthèmes Fayard, 1999, p.185, comme le prouve le passage de la position assise du banqueteur de la période villanovienne (Mettre image) à celle couchée de l’aristocrate étrusque dès le VIIe siècle. De plus, les objets utilisés pour ces banquets sont tous d’origine grecque comme par exemple le cratère, outil indispensable pour le symposium et la consommation du vin à la manière des Grecs.

     Cette tradition du banquet fut à tel point adoptée par les Étrusques qu’elle en devint magnifiée, devenant presque un art de vivre à part entière. Les Grecs finirent même par les critiquer à ce sujet, les accusant de « Truphé » [29] Synonyme en grec ancien de mollesse, banquetant parfois plus de deux fois par jour ! De même, élément choquant pour un Grec, les épouses participaient aux festivités. Certains historiens grecs s’adonnèrent à d’injustes médisances à ce sujet, allant jusqu’à dénoncer une mise en commun      des femmes à cette occasion. Bien que calomnieux, ces propos nous révèlent toutefois cette différence de taille entre les banquets étrusques et les banquets athéniens (c’est en effet celui que nous connaissons le mieux). Cependant Athènes était probablement la cité grecque la plus misogyne, peut-être de peur justement que les femmes aient un jour une place politique au sein de leur précieuse démocratie. À l’inverse, l’aristocratie étrusque ne craignait pas comme à Athènes la prise de pouvoir par les femmes, peut-être parce que leurs institutions oligarchiques ne le permettaient pas pleinement, car les autres citoyens, mâles ou femelles, en étaient de toute manière exclus. Ainsi, il ne faut pas oublier que ces banquets étaient l’apanage des hautes sphères de la société.

 

     Cette adoption est bien trop tardive par rapport aux témoignages archéologiques et iconographiques des périodes précédentes. En réalité on retrouve des traces de l’adoption de ces jeux sur des céramiques de Chiusi datant de la moitié du VIIe siècle, soit un siècle auparavant. Ces jeux sont toutefois bel et bien d’origine grecque et il semble qu’avec le temps les Étrusques adoptèrent l’ensemble des disciplines sportives présentes dans le pentathlon, à savoir le lancer de javelot, de disque, le saut avec haltère, la lutte et le pugilat. De même ils semblent avoir donné beaucoup d’importance aux courses, et particulièrement aux jeux équestres. Ils pratiquaient de manière différente ces derniers avec notamment des démonstrations acrobatiques et des courses de chars avec seulement 3 chevaux attelés (inexistant dans le monde grec).

     À l’occasion de ces banquets funéraires, les Étrusques organisaient des jeux. Selon certains historiens antiques, ils auraient adopté cette coutume suite à un oracle de Delphes leur imposant cette expiation pour se racheter d’un crime commis par les habitants de Caere. En effet ces derniers avaient exécuté et laissé sans sépulture les prisonniers phocéens vaincus à la bataille d’Alalia en 540.

Art de la guerre

     Si la civilisation étrusque connait son apogée au VIe siècle c’est en partie parce qu’elle a su maintenir sa domination militaire sur ses peuples voisins. Si en mer, les Étrusques furent de redoutables rivaux des Phéniciens et des Grecs [30] Les Grecs les gratifiaient d’une réputation de pirates invétérés et considéraient qu’ils étaient les inventeurs de l’éperon naval et de la trompette de guerre., ils furent au sein de la péninsule italique la première puissance martiale imposant son autorité sur l’essentiel des terres fertiles de cette dernière. 

     Cela, les Étrusques le doivent notamment à leur adoption du modèle grec de la phalange hoplitique [31] Dominique BRIQUEL, La civilisation étrusque, Arthèmes Fayard, 1999, p.196 -200. Si au VIIIe siècle l’aristocrate étrusque semble rester un cavalier, il devient un fantassin lourdement armé dès le VIIe siècle [32] Pour plus d’informations sur l’armement hoplitique, nous vous renvoyons à l’article suivant https://somatophylaques.com/armement-hoplite-grec/ . Il est d’ailleurs intéressant de noter que la plus ancienne et plus belle représentation de combat phalangique grecque a été retrouvée au sein du monde étrusque.

  Cependant les modèles aristocratiques se maintiennent longtemps et il est même possible que certaines armées hoplitiques fussent en réalité des troupes clientes (c’est-à-dire attachée à une famille aristocratique) équipées aux frais d’un riche patron étrusque. En témoigne notamment le dépôt de casques trouvé près de Vetulonia ; une centaine de casques identiques portant pour la moitié le nom d’une famille aristocratique locale, Haspnas [33] Dominique BRIQUEL, La civilisation étrusque, Arthèmes Fayard, 1999, p.203. De même, certains vases étrusques représentent des phalanges d’hoplites portant tous le même épisème sur leur bouclier, élément inexistant dans le monde grec.

Tarquin l’ancien lui-même d’origine grecque fut pour son prédécesseur romain, Ancus, un « magister populi », c’est-à-dire un maitre d’infanterie. Il fut probablement celui qui put instruire les Romains sur les manœuvres hoplitiques, manœuvres que l’aristocratie étrusque avait elle-même apprises des Grecs, mais qu’elle avait restreintes à une frange de guerriers professionnels, aristocrates ou clients de ces derniers.

      Autre élément intéressant, lors du siège de Véies par Rome à la fin du Vème et au début du IVème siècle les Étrusques se perçoivent tels les Achéens de l’Illiade faisant la guerre aux Troyens. C’est d’ailleurs ainsi qu’ils se représentent dans une tombe trouvée près de Vulci, nommée tombe François, où l’on voit en face d’un exploit aristocratique étrusque sur les Romains, la représentation de l’exécution des prisonniers troyens [34] Jean-Noël ROBERT, Les étrusques, les Belles Lettres, Paris, 2004, p.50. Cette peinture nous montre que les Étrusques, en plus d’adopter un modèle militaire parallèle à celui des Grecs, vont se percevoir comme ces derniers à travers leur mythologie guerrière face à un ennemi romain qui revendiquait peut-être déjà sa prétendue origine troyenne.

Tombe François à Vulci, Wikipédia-Commons

     Mais cette adoption du modèle hoplitique, s’il leur a donné un temps un avantage indéniable, est devenu progressivement un fardeau idéologique. En effet, au IVe et IIIe siècles les conflits avec Rome s’intensifient, et les Romains affrontant d’autres peuples italiques transformeront progressivement le modèle hoplitique qu’ils avaient eux aussi adopté en leur fameux système manipulaire qui donnera plus de mobilité à leurs troupes. De plus les Romains, en conflit avec d’autres peuples comme les Samnites n’hésiteront pas à adopter leur bouclier à manipule, le « scutum », permettant aux individus d’obtenir plus d’aisance au sein de formations plus mobiles. Cet avantage ne fut exploité que tardivement par les Étrusques qui, peut-être par tradition, tardèrent à les adopter, ce qui accéléra la fin de l’indépendance de leurs cités.

Conclusion

     Comme nous avons pu le voir, les Étrusques doivent beaucoup à la civilisation grecque qui, par ses échanges commerciaux, permit en grande partie l’épanouissement de leur civilisation. Il faut toutefois le préciser, si l’ensemble des éléments cités précédemment marque une indéniable influence de la culture hellénique sur celles de la péninsule italique, les Étrusques n’en demeurent pas moins un peuple original aux facettes multiples. Comme le résuma avec brio le célèbre étruscologue Massimo Pallotino [35] Massimo PALLOTTINO, L’origine des étrusques, Rome, 1947 « un peuple est le résultat historique, à un moment donné, de la fusion d’éléments forcément divers, et non le prolongement d’une réalité antérieure unique » [36] Dominique BRIQUEL, La civilisation étrusque, Arthèmes Fayard, 1999,  p.73. Ainsi les Étrusques surent allier les éléments issus de leur culture passée (villanovienne) à ceux de leurs nouveaux partenaires et rivaux, les Grecs, pour fonder une civilisation originale qui elle-même influença en profondeur la future civilisation romaine.

En savoir plus

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Bibliographie

  • Dominique BRIQUEL, La civilisation étrusque, Arthèmes Fayard, 1999.
  • Jean-Noël ROBERT, Les étrusques, les Belles Lettres, Paris, 2004.
  • Massimo PALLOTTINO, L’origine des étrusques, Rome, 1947.
  • Jean-Paul THUILLIER, Les Étrusques la fin d’un mystère, découverte Gallimard, 1990.
  • Jean-Paul THUILLIER, Les Étrusques, éditions Clio, collection Chronoguide, 2002.

Notes & Références[+]