Louis Frasses,
Etudiant en licence d’histoire,
Membre des Somatophylaques.
Ceux qui ne sont pas hoplites : tireurs et troupes légères dans la grèce antique, Ve et IVe siècles av. J.-C.
Dans le cadre de la guerre du Péloponnèse, les tireurs au sein des armées grecques trouvent une place importante suite à l’impasse des duels de phalanges avec la tradition de la guerre rituelle toujours importante (qui met l’hoplite au centre de tout). Différents types de tireurs ont donc vu le jour au sein de ces armées, les premières cités grecques en ayant vu le potentiel étant Athènes et ses alliées. Sparte suivra après ses échecs, notamment à Sphactérie, sur l’île de Pylos, en 425 av. J.-C..
I- Les tireurs au javelot
Le javelot en lui-même n’a pas à refaire sa réputation en Grèce et équipe la majorité des tireurs dans les armées des cités. Arme de portée relative en fonction de la force du tireur, il est possible d’allonger cette même distance de tir en utilisant un nœud de cuir (enkylé) lui permettant de vriller (et donc de stabiliser sa trajectoire) en augmentant sa vitesse [1] THUCIDYDE, La guerre du Péloponnèse, Folio classique, Gallimard, 1964, Index, définition d’acontiste, page 825. D’une taille bien plus courte que la lance et d’un poids bien moindre, il est facile pour le tireur d’en emporter plusieurs, d’en ramasser, s’il le peut, et d’aller en chercher d’autres à l’arrière des lignes également. Les termes pour de tels guerriers varient, que ce soit sous la simple appellation de lanceur de javelot, ou encore d’acontiste [2] Tout dépend également de l’auteur. Thucydide fait près de 18 mentions du mot acontiste et 12 du mot peltaste dans son œuvre La guerre du Péloponnèse (voir tableau en fin d’article). Reprenant le récit de la guerre là où il s’était arrêté, Xénophon fait, quant à lui, une seule et unique mention d’acontiste contre près de 39 du mot peltaste , dans ses Helléniques. Les deux traductions utilisées pour ce travail ont été traduites l’une comme l’autre par Denis Roussel. Thucydide et Xénophon n’ont sans doute pas la même vision et définition des tireurs, le deuxième ayant peut être tendance à désigner comme peltaste tout combattant équipé de javelots, ce qui pourrait expliquer la nette différence..
Les tireurs représentent souvent les classes les plus pauvres d’une cité au sein des armées grecques. De ce fait, un lanceur de javelot grec sera souvent représenté en simple chiton, avec ou sans chaussures. La légèreté étant l’atout principal des tireurs, il arrive également qu’ils soient en simple perizoma, voir nus (comme peut le montrer la traduction du terme gymnète, qui désigne des combattants très légèrement armés). Le lanceur de javelots grec peut être tête nue ou porter un chapeau de paille, un bonnet, un galon, tout en ayant le souci de ne pas avoir la vue obstruée. Ainsi certains lanceurs de javelots grecs porteront le pilos ou le casque phrygien sans masque à partir du IVe siècle av. J.-C.. Pour la défense au corps à corps, le guerrier armé de javelots est souvent contraint au repli mais peut être équipé d’un poignard, d’un couteau ou d’une épée. Cela reste cependant rare du fait du manque de moyens financiers de la plupart de ces combattants. Pour se protéger et porter leurs javelots, certains tireurs peuvent compter sur un petit bouclier d’osier et de cuir, la pelté, hérité de l’équipement et des tactiques des tribus situées au nord de la Grèce (il est alors appelé peltaste [3] Voir « FRASSES Louis, Le guerrier thrace aux Ve et IVe siècles av. J.-C., 2020, URL: https://somatophylaques.com/thraces/ » pour approfondir le sujet du peltaste thrace aux Ve et IVe siècles avant J.-C..).
II- Les frondeurs
La fronde est, dans les armées grecques, l’arme la moins longue à fabriquer et à produire. De longueur variable en fonction de la cible à atteindre, ces dernières étaient faites en chanvre, mais aussi en cuir ou en laine tressée également. La poche pouvait être en chanvre tressé au sein même du nœud (la fabrication d’une fronde nécessitant ainsi que quelques mètres de corde), mais aussi en cuir souple ou durci. D’abord limités aux simples pierres trouvées au sol, les projectiles vont se diversifier. Adoptant une forme ovale en Grèce durant le Ve siècle, ils seront en pierre taillée puis en argile et en plomb (de poids différents, ce qui va jouer sur la distance et la vitesse). Certaines balles étaient marquées et gravées. Les frondes ont l’avantage de tirer bien plus loin que toute autre arme de jet, même l’arc. Onasandre, tacticien grec écrivant au Ier siècle apr. J.-C., met en garde les lecteurs de son traité contre les balles de frondes qui sont difficiles à esquiver et dont les blessures sont complexes à soigner, suivant la théorie de la friction de l’air (dite atomiste [4] DUCREY Pierre, Polemica, études sur la guerre et les armées dans la Grèce ancienne, Les Belles Lettres, Paris, 2019, les croyances portant sur l’efficacité de la fronde, page 220), voulant que le projectile entre en fusion comme l’a expliqué Aristote avant lui dans son traité intitulé « Du ciel » [5] DUCREY Pierre, Polemica, études sur la guerre et les armées dans la Grèce ancienne, Les Belles Lettres, Paris, 2019, page 200. Lâchée à une vitesse moyenne de 100 km/h (variant suivant la longueur des lanières de la fronde et le poids du projectile), une balle de plomb pouvait, par exemple, perforer une armure jusqu’à 100 m [6] DUCREY Pierre, Polemica, études sur la guerre et les armées dans la Grèce ancienne, Les belles lettres, Paris, 2019, page 201, voir travaux de BAATZ, Schleudergeschosse aus Blei- eine waffentechnische Untersuchung, 1990.
Il est à noter que certaines classes pauvres des cités ne s’encombraient pas de frondes et partaient au combat avec de simples pierres. Ils sont alors décrits dans les textes comme différents des frondeurs, sous le terme de « lanceurs de pierres ». Des céramiques corinthiennes et béotiennes de l’époque archaïque montrent des frondeurs équipés de protections (casques notamment), laissant suggérer que la fronde pouvait être une arme d’appoint pour les hoplites qui n’avaient pas eu le temps de s’équiper [7] DUCREY Pierre, Polemica, études sur la guerre et les armées dans la Grèce ancienne, Les belles lettres, Paris, 2019, page 226. Méprisée malgré tout pendant la guerre du Péloponnèse, il faudra attendre l’Anabase de Xénophon pour qu’un Grec reconnaisse ouvertement la valeur et l’efficacité d’une telle arme en campagne [8] XENOPHON, Anabase, II, 3, 13-20, IVe siècle av. J.-C..
Les frondeurs portent sur eux un sac pour y transporter leurs projectiles, qui peut parfois prendre la forme d’un long manteau enroulé autour du tronc (un frondeur sans sac devra ramasser les pierres qu’il trouve au sol, ce qui peut être compliqué en fonction du terrain). Les frondeurs de Rhodes étaient réputés en Grèce pour leurs compétences [9] THUCYDIDE, La guerre du Péloponnèse, VI, 2, 43, IVe siècle av. J.-C., mais on en retrouvait dans tout le pourtour méditerranéen. Agissant sur les flancs par groupes, ils effectuaient des tirs de barrages plutôt que des ciblages précis (la précision étant difficile à mettre en œuvre avec une fronde pour un tireur inexpérimenté). Plusieurs méthodes de tirs existaient, la plus simple étant de de lancer le projectile par un mouvement de balancier (comme un trébuchet). La méthode la plus commune était de se servir de la force de rotation de la fronde pour prendre le temps de viser et faire gagner en inertie la balle. Les frondeurs ont pu disposer d’un petit bouclier, au même titre que les archers, mais les connaissances à ce sujet restent lacunaires (notamment sur des questions telles que celle de leurs tailles, matières, moyens de préhension et formes). La plus ancienne mention de corps de frondeurs au sein d’une armée est attribuée à Hérodote, racontant la promesse d’une armée par Gélon de Syracuse contre Xerxès [10] DUCREY Pierre, Polemica, études sur la guerre et les armées dans la Grèce ancienne, Les Belles Lettres, Paris, 2019, page 195 – HERODOTE, Enquête, 7, 158 (Ve siècle avant J.-C.).
III- Les troupes légères
Sous ce terme se cache une catégorie assez large de combattants pouvant regrouper tous les tireurs cités précédemment, pour faciliter l’écriture des textes, ou bien d’autres guerriers. Ce terme ne désigne que des combattants légèrement armés, à l’inverse de l’hoplite. Les troupes légères prennent donc en compte acontistes, frondeurs, archers, peltastes et autres. Il est possible cependant que soient regroupés sous ce mot des troupes de combat rapproché n’ayant pas leur place dans la phalange. Ainsi, peut être que de petits contingents regroupant les populations pauvres ou barbares de certaines régions de Grèce comme l’Acarnanie ou l’Etolie, ont pu voir le jour lors de campagnes militaires. Leur armement reste inconnu, mais on peut formuler des hypothèses : avaient-ils des couteaux, des épées, des petits boucliers de cuir ou d’osier (comme les peltastes), peut être des lances ? Il est très difficile d’établir avec exactitude la nature même de leur panoplie. On peut citer comme exemple les troupes platéennes prenant d’assaut de nuit les murailles édifiées par les Péloponnésiens. Ces derniers ont en effet une panoplie atypique, misant sur la légèreté et la polyvalence (armures légères, courtes lances, épées et couteaux, une seule chaussures pour ne pas glisser, etc.) [11] THUCYDIDE, La guerre du Péloponnèse, III, 1, 22-24, IVe siècle avant J.-C.. Les auteurs antiques ont en effet tendance à occulter tireurs et troupes légères, quels qu’ils soient, pour sublimer un hoplite encore au cœur de l’appareil culturel grec.
IV- Les archers
Au moins depuis l’époque d’Homère, les archers sont présents dans les armées grecques, comme en témoignent les combats entre Ajax et les Locriens [12] HOMERE, Iliade, 13, 709-721, VIIIe siècle av. J.-C.. L’événement qui va pousser les Grecs à s’intéresser de plus en plus à cette arme, jusqu’ici plutôt dédiée à la chasse, est la première guerre médique. En effet, lors de la bataille de Marathon, les armées perses alignèrent un très grand nombre d’archers face à la phalange entièrement dépourvue de moyen de riposte à distance [13] HERODOTE, Enquête, VII, 184, Ve siècle avant J.-C.. Thémistocle à la bataille de Salamine en 480 av. J.-C., embarqua des archers sur les navires pour faire face à la flotte de Xerxès, amenés par Ctésias [14] HERODOTE, Enquêtes, XXVI, 85, Ve siècle avant J.-C. . C’est en 449 av. J.-C. que s’établissent à Athènes des archers scythes (très réputés dans le maniement de l’arc) censés faire office de police aux assemblées [15] PLASSART Agnès, Les archers d’Athènes, Revue des études helléniques, 1913, page 153. Leur emploi n’étant pas démocratisé dans les armées grecques, les archers étaient, pour la plupart, au début de la guerre du Péloponnèse, des mercenaires engagés pour le compte de la cité. Concernant les archers, ce sont les Crétois qui sont les plus mentionnés, car très réputés dans le maniement de cette arme [16] Les Crétois jouent un rôle très important lors de la retraite des Dix-Milles dans l’Anabase de Xénophon, Livre VII, IVe siècle avant J.-C..
En Grèce, les arcs étaient de type oriental. Les iconographies montrent en effet des arcs à double courbures, caractéristiques chez les Scythes ou les Perses mais nous ne savons pas exactement si l’arc en question est une confection locale ou un apport étranger [17] ANDRIANNE Gilles, Regard interdisciplinaire sur le statut de l’arc en Grèce antique, Centre linguistique du Centre et de l’Ouest, OpenEdition Journales, 2015. Mis à part cette origine, très peu d’informations subsistent quant à l’équipement précis de ces combattants. Les tenues d’archers grecs sont rares, et les archers étrangers sont en tenues perses et scythes sur les céramiques greques. De la même manière, ces tenues orientales sont accompagnées pour les archers de gorythes (les carquois servant également à transporter l’arc) et non de carquois quelconques. Il ne subsiste pas de description précise d’archers grecs. Des petits boucliers ne gênant pas le tir ont aussi pu voir le jour, mais rien de concret ne vient étayer cette information.
V- Méthodes de combat
A) Placement
Chaque tireur au sein d’une formation de combat aurait été libre de ses mouvements et ne tiendrait aucune formation précise à l’inverse des hoplites. L’accent est mis sur leur rapidité et leur efficacité à harceler l’ennemi. Les tireurs seraient donc vraisemblablement déployés le plus souvent sur les flancs de la phalange, en général à droite, afin de protéger les flancs des hoplites alliés en formation qui tiennent le bouclier de la main gauche, mais aussi pour soutenir les actions de la cavalerie et les mouvements de contournement. Sur une bataille à grande échelle, il y a donc un espace entre chaque phalange qui est systématiquement couvert par des groupes de tireurs (par groupe de tireurs il faut entendre plusieurs « types » de tireurs mélangés : des lanceurs de javelots, des frondeurs, des archers, etc.). Par exemple, si l’ennemi est à une centaine de mètres, les lanceurs de javelots seront inefficaces, à l’inverse des frondeurs. Ces derniers seront donc regroupés vers l’avant pour tirer tant qu’ils le peuvent, les autres attendant que l’ennemi se rapproche. C’est un exemple de peloton de tir possible. Du fait de leur liberté de mouvement, les tireurs peuvent également choisir d’avancer vers l’ennemi s’ils le désirent, au risque d’être pris pour cible par les tireurs adverses ou les cavaliers. Il est cependant recommandé aux tireurs dans l’Antiquité de se placer en tout premier lieu devant la phalange pour désorganiser l’armée adverse [18] Selon Pierre DUCREY, un tel procédé serait mentionné chez Onasandre et Arrien ( Polemica, études sur la guerre et les armées dans la Grèce ancienne, Les Belles Lettres, Paris, 2019, page 203).
B) Commandement
Il est très probable que les tireurs furent autonomes quant à leurs actions sur le champ de bataille. Recevant leurs ordres du chef de l’armée, les tireurs avaient l’initiative de leur tir (il n’y avait probablement pas d’ordre de tir comme des « feux de rangs » ou autre tir rangé). Cependant, certaines sources montrent que ce type de troupes comptaient dans leurs rangs des officiers, peut être spécialisés dans ce genre de combat, à l’inverse de la tradition hoplitique. Nous pouvons relever le cas de Tlémonidas, sous les ordres de Téleutias, dans sa campagne contre les Olynthiens, qui est désigné comme « chef des peltastes » [19] ]XENOPHON, Helléniques, V, 3, 3, IVe siècle avant J.-C..
Tableau récapitulatif
Nombre de mentions de groupes de tireurs dans La guerre du Péloponnèse de Thucydide (classification par type de tireur et origine du/des tireurs
Réalisé par FRASSES Louis, sur l’œuvre traduite et annotée par ROUSSEL Denis : THUCYDIDE, La guerre du Péloponnèse, Folio classique, Gallimard, Malsherbes, 1964
Bibliographie
Ouvrages et articles scientifiques :
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ANDRIANNE Gilles, Regard interdisciplinaire sur le statut de l’arc en Grèce antique, Centre linguistique du Centre et de l’Ouest, OpenEdition Journals, 2015
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DUCREY Pierre, Polemica, études sur la guerre et les armées dans la Grèce ancienne, Les Belles Lettres, Paris, 2019
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DUCREY Pierre, Guerre et guerriers dans la Grèce antique, Hachette Littératures, Pluriel, Paris, 1999
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ENCEL Frédéric, L’art de la guerre par l’exemple, Flammarion, Champs histoire, 2015
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PLASSART Agnès, Les archers d’Athènes, Revue des études helléniques, 1913
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RIHLL Tracey, Use of classical Greek light infantry and an investigation into the cause of the lack of documentation during 490-404BCE., Academia.édu, 2014
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SANTONI Pierre, Triangle tactique, Décrypter la bataille terrestre, éditions Pierre de Taillac, Paris, 2019
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WEBBER Christopher, The Gods of battle, The Thracians at war 1500 BC-AD 150, Pen & Sword Military, Barnsley, 2011
Sources primaires :
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HERODOTE, Enquête, Ve siècle av. J.-C.
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HOMERE, Iliade, VIIIe siècle av. J.-C.
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ONASANDRE, Stratêgikos, Ier siècle apr. J.-C.
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THUCYDIDE, La guerre du Péloponnèse, IVe siècle av. J.-C.
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XENOPHON, Anabase, IVe siècle av. J.-C.
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XENOPHON, Helléniques, IVe siècle av. J.-C.
Notes & Références