Image d’arrière plan : détail d’une aquarelle de Jean-Claude Golvin représentant Massilia à l’époque romaine.

Vincent Torres-Hugon,
Président de l’association les Somatophylaques

Vous pouvez retrouvez les parties 1 et 2 de cet article en suivant les liens ci-dessous : 

Partie 1 : Récit d’une fondation
Partie 2 : Organiser la cité

PARTIE 3 : DE MASSALIA à MASSILIA

Le déclin massaliote

Les Guerres Puniques

Au tournant du IIIème siècle avant notre ère, Marseille prend part aux grands conflits qui opposent Rome à Carthage, les Guerres Puniques. Le rôle de Massalia dans le camp de Rome fut déterminant, et est narré par les historiens romains. Les Massaliotes aidèrent notamment les Romains dans les conflits navals, dans lesquels ils n’excellaient guère, et furent d’ailleurs les artisans de grandes victoires navales durant la Deuxième Guerre Punique. Ils vainquirent la flotte d’Hasdrubal, le frère d’Hannibal, en 217 avant Jésus-Christ. Cette victoire empêcha les troupes terrestres d’Hasdrubal, destinées à renforcer Hannibal, d’arriver rapidement, et surtout permit aux Romains de contrôler cet axe maritime vital, leur permettant notamment plus tard de conquérir l’Ibérie.

Déroulement de la Deuxième Guerre Punique
Remparts de la cité d’Olbia, les comptoirs de Nikaia et d’Antipolis devaient en posséder des similaires.

Mais la fin des guerres puniques eut pour conséquence de favoriser un nouvel essor de la piraterie qui nuira au commerce des Massaliotes. En outre, les Romains, maintenant installés dans le nord de l’Italie et en Espagne, voulaient à présent lier ces deux ensembles territoriaux. Au cours du IIème siècle avant notre ère, Massalia est menacée de toutes parts par les peuples celtes et les peuples ligures. En 154 avant Jésus-Christ, les ligures assiègent Nikaia et Antipolis

Rome intervient, mais en profite pour commencer à s’installer. En 125 avant Jésus-Christ, les Celtes voconces et salyens menacent Marseille. Ils sont vaincus par les Romains et, en 122 avant Jésus-Christ, le consul Caius Sextius rase l’oppidum des Salyens, Entremont. Il fonde la future ville d’Aix-en-Provence, juste au nord de Marseille. Les Salyens entraînent dans leurs guerres leurs alliés allobroges et arvernes, desquels Rome triomphe en 121 avant Jésus-Christ.

Têtes d’ennemis coupées, trouvées sur l’oppidum d’Entremonts. Les Salyens ainsi que de nombreux Celtes exposaient les têtes de leurs adversaires vaincus. Musée Granet, Aix en Provence.

Les Romains fondent alors Narbonne et érigent en province le nouveau territoire conquis. Massalia obtient certes une large bande côtière sur toute son aire d’influence, mais les Romains s’installent définitivement et leurs commerçants concurrencent les marchands massaliotes. Ils finissent même par les supplanter, car Rome attire autour d’elle un vaste réseau de clientélisme et les Celtes, maintenant en rapport direct avec eux, n’échangent plus de manière privilégiée avec Marseille. De plus la situation semble toujours tendue comme le prouvent tout d’abord les nouvelles fortifications en calcaire rose dont se dote Marseille à la fin du IIème siècle. En 102 avant Jésus-Christ, une horde de Teutons est vaincue par le consul Marius, près de l’actuelle montagne de la Sainte-Victoire.

Buste présumé de Marius datant du Ier siècle avant notre ère, Musée Chiaramonti, Rome.

Durant le stationnement des troupes, les Romains ont creusé un canal permettant un accès facilité au Rhône. Les droits de taxe sur ce dernier sont certes octroyés à Massalia, mais le canal est principalement emprunté par des marchands italiques. La baisse de fragments d’amphores massaliotes de cette période trouvées en situation de fouille, ainsi que la hausse des céramiques italiques, atteste de ce déclin. 

Les Massaliotes, toujours fidèles alliés à Rome, continuent d’aider cette dernière dans ses guerres contre les Celtes, et notamment César durant la guerre des Gaules. Ce dernier remercie d’ailleurs la ville à de nombreuses reprises en élargissant son territoire. Mais la démographie de Massalia ne permet pas à cette dernière de s’implanter sur toutes les terres qui lui sont octroyées et son commerce, principale source de revenus et de puissance, est maintenant concurrencé par le port de Narbonne. Marseille possède enfin de plein droit et en toute sûreté le littoral et la route commerciale qu’elle désirait, mais ses débouchés ne sont plus les mêmes, et son rôle politique décroît face à l’omniprésence de Rome en Méditerranée occidentale et maintenant en Gaule.

La République Romaine avant la conquête de Massalia.

Le siège de Marseille

Légionnaire républicain portant un uniforme similaire depuis Marius et jusqu’à César, crédits photo Coline Rouvier. (reconstitution par l'association Légion I Consularis AERA)

Le 11 janvier 49 avant Jésus-Christ, César traverse le Rubicon avec une armée et déclenche ainsi une guerre civile. Son opposant, Pompée, qui gouverne la province d’Ibérie (équivalent alors à l’ensemble de la péninsule iébrique), a le soutien du sénat et donc de la loi. Ce dernier, obligé de se replier en Grèce, abandonne Rome à son adversaire. Tandis que Pompée rassemble des troupes en Orient, César, lui, doit éviter l’encerclement stratégique et décide d’aller soumettre l’Ibérie.

Massalia est dans une situation délicate. Perpétuelle alliée de Rome, elle ne peut se résoudre à prendre ouvertement parti pour l’un des deux belligérants, d’autant plus que Pompée et César ont, chacun à leur tour, été très généreux avec la cité. Dans un premier temps Massalia affirme sa neutralité, en affirmant qu’elle ne voulait d’aucune manière intervenir dans une guerre entre Romains. Pourtant son arsenal et sa puissance navale attisent les convoitises et les craintes. César, au printemps de 49 avant Jésus-Christ, marche sur l’Espagne et ne veut pas risquer d’être isolé ou coupé de ses liens avec l’Italie dans le cas où Massalia rejoindrait le camp de Pompée. À ce moment de la guerre civile, César ne semble pas pouvoir l’emporter sur son rival qui rassemble tout l’orient derrière lui et contrôle les mers. 

Massalia refuse à César l’entrée dans la ville, sous le prétexte de sa neutralité, mais accepte pourtant des ambassadeurs du camp de Pompée en son sein.

Cette erreur politique des Massaliotes pousse César à porter le siège devant la ville. Ne pouvant s’attarder devant cette dernière, il donne trois légions au légat Caius Trebonius et confie une flotte de douze navires de guerre construits à la hâte à Arles à Decimus Brutus. Il reprend ensuite sa marche vers l’Ibérie. Les Massaliotes s’étaient préparés au siège, et, non contents d’avoir rassemblé des provisions dans la ville, avaient constitué une flotte de dix-sept navires de guerre, dont onze dotés de ponts. Les Massaliotes, conseillés par l’ambassadeur de Pompée, Lucius Domitius, pouvaient aussi compter sur les ligures Albiques qui vivaient en parfaite concorde avec les Grecs, dans l’arrière-pays marseillais.

Un guerrier celte de la période de la guerre des Gaules, devant les murs de Massalia. Dans le fond, un guerrier grec.

Le siège de Massalia

Le récit des affrontements figure dans les Commentaires de la guerre civile rédigés par César et dans les poèmes épiques de Lucain. Les Massaliotes bien abrités derrière leurs murs décidèrent en premier lieu de rompre le blocus maritime romain. Aux dix-sept navires de guerre grecs, de nombreuses embarcations de pêche prirent part à la bataille. En juin la flotte manœuvre face aux douze navires de guerre romains. Ces derniers ont à leur bord des troupes d’infanterie d’élite.

Casque le plus commun des légionnaires romains pendant la guerre des Gaules, celui-ci fut retrouvé à Marseille et date du siège. Les Massaliotes portaient probablement des casques similaires. Ce modèle peut tout aussi bien avoir appartenu à un Grec qu’à un Romain, Musée d’Histoire de Marseille.

Les Romains arrivent à éviter les habiles manœuvres massaliotes et à les aborder. Malgré une courageuse résistance, les marins massaliotes et les guerriers Albiques ne peuvent vaincre les légionnaires romains, pour la plupart vétérans de la guerre des Gaules. Trois navires massaliotes furent coulés et six furent capturés par les Romains. Une flotte du parti de Pompée, composée de dix-sept navires de guerre, arriva en juillet au secours de Marseille. 

Les Massaliotes, pendant ce temps, construisirent neuf nouveaux navires de guerre. Avec leurs dix navires restants, ils forcent le blocus et, poursuivis par la flotte de Brutus, rejoignent à Tauroentum, une forteresse grecque située près de l’actuelle ville de Six-Fours, la flotte pompéienne. Elle fait alors volte-face et affronte leurs adversaires. Mais là encore la fortune ne leur fut pas favorable. Engagé dans le combat, et commençant à avoir le dessous, le commandant de la flotte pompéienne ne préféra pas risquer ses navires et se retira, abandonnant à leur sort les Massaliotes dont seulement une poignée de navires put rentrer à Massalia…

Sans son approvisionnement maritime, la ville ne pouvait plus tenir longtemps. Les Massaliotes dotés de remparts solides équipés de machines de guerre, et particulièrement braves, réussissent à déjouer les travaux de sape romains et à repousser leurs assauts.

Mais la ville est affamée et propose à l’ennemi sa reddition.

Boulets de machine de siège retrouvés au niveau des remparts de Massalia, Musée d’Histoire de Marseille.

Le commandant des forces romaines accepte une trêve dans l’attente du retour de César. Cette trêve est rompue successivement par les deux camps, les Massaliotes effectuant des sorties pour brûler les machines de siège ennemies et les Romains continuant à construire une contre-élévation très proche des remparts marseillais, et menaçant ces derniers. Affamés, sachant qu’ils ne peuvent plus compter sur la venue d’aucun renfort, les Massaliotes capitulent lorsque César revient devant leurs murs.

Port et porte principale de la ville de Massalia. La porte fut attaquée pendant le siège de Massalia et il est probable que César fit son entrée triomphale dans la ville par celle-ci, aquarelle de J. Golvin.

Philhellène, se remémorant l’antique amitié existante entre Rome et Massalia, César refuse que l’on mette à sac la ville. Il la prive toutefois de toutes ses armes, de son trésor et de son arrière-pays, ne lui laissant en sa gestion propre que la ville elle-même et quelques-unes de leurs îles. 

Massalia devint Massilia, et les Grecs allaient enfin céder toute la Provence aux Latins.

 

Bibliographie

  • Michel Bats, Les colonies massaliètes de Gaule méridionale : Sources et modèles d’un urbanisme militaire aux IVe-IIIe s. av. J.-C, Collection de l’Ecole française de Rome, 2004.
  • Sophie Bouffier. Marseille et la Gaule méditerranéenne avant la conquête romaine. Pallas. Revue d’études antiques, Presses universitaires du Mirail, 2009, 80, p. 35-60.
  • Sophie Bouffier et Dominique Garcia (sous la dir. de), Les territoires de Marseille antique, Éditions Errance en partenariat avec l’institut universitaire de France, centre Camille-Jullian, 2014.
  • Jean-Pierre Brun (sous la dir. de), Les îles d’Hyères, fragments d’histoire, Actes sud, Arles, 1997.
  • Antoine Hermary (sous la dir. de), Antoinette Hesnard et Henri Tréziny, Marseille grecque, la cité phocéenne (600-49 av. J.-C.), Éditions Errance, 1999.
  • Michel Meulder, dans Dialogues d’histoire ancienne, La prise de Marseille par les Ségobriges : un échec, vol. 30, n° 1, 2004, p. 11-32 
  • Fabien Régnier avec la collaboration de Jean-Pierre Drouin, Aux origines de la Provence, Éditions Yoran, Fouesnant, 2017.