Image d’arrière plan : détail d’une aquarelle de Sandrine Duval illustrant les noces de Gyptis et Protis.

Torres-Hugon Vincent,
Historien du geste et anthropologue de l’histoire vivante,
Conférencier chez le voyagiste culturel CLIO.

Vous pouvez retrouvez les parties 1 et 2 de cet article en suivant les liens ci-dessous : 

La Marseille antique : l’épopée de Massalia (2/3)
La Marseille antique : l’épopée de Massalia (3/3)

Partie 1 : Récit d'une fondation

La fondation de Massalia

L’histoire de Marseille commence avec l’arrivée, vers 600 avant Jésus-Christ, de marchands phocéens dans le bassin de la Méditerranée occidentale. Phocée est une ville grecque ionienne d’Asie Mineure (l’actuel Smyrne turque). Elle entame à la fin du VIIème siècle une expansion commerciale forte. Or la Méditerranée est déjà fortement colonisée, par les Grecs, mais aussi les Phéniciens. Ils orientent donc leurs recherches sur un lieu propice au commerce et à la fondation d’un nouveau comptoir commercial (emporion) vers le nord de la Méditerranée occidentale

Vue sur l’ancien port de Marseille, aussi appelé corne du Lacydon.

C’est ainsi qu’ils découvrirent une calanque bien abritée du vent qui possède de nombreux avantages géographiques et que l’on appelle la corne du Lacydon.

La calanque est assez large pour accueillir des navires, mais assez petite pour être aisément défendable.

L’arrière-pays donne directement sur des plaines, où sont implantés des indigènes, qui pourront être de bons relais commerciaux. De plus le site est proche de l’embouchure du Rhône qui permettra à terme de commercer avec toute la Gaule et surtout d’obtenir une ressource précieuse pour le monde grec : l’étain.

Ce composé essentiel à la fabrication du bronze provient principalement des péninsules ibériques et britanniques.

Lingots d’étain exposés au Musée d’Histoire de Marseille

Le site semble donc propice aux échanges avec ces deux ensembles, l’un grâce à la route maritime, l’autre grâce aux commerces du monde celte qui permet à l’étain de traverser la Gaule. Ce sont alors ces aspects pratiques qui décidèrent les Grecs à s’implanter ici et la légende de la fondation de la cité veut qu’ils le firent sans employer la force : à ce propos, voir plus bas dans cet article le récit de la fondation de la cité.

Massalia, « la plus vieille ville de France », venait de naître.

En 546 avant Jésus-Christ, Phocée est menacée par l’expansion perse et une grande partie de sa population préfère abandonner la ville plutôt que de se soumettre au joug perse. Ils se réfugient dans leurs diverses colonies et, après bien des péripéties, certains finissent par rejoindre Massalia. La ville n’est plus seulement un simple relais commercial, privé de sa métropole, mais elle devient une polis (cité-état) de première importance.

 

La légende de la fondation

Selon Aristote, les Grecs, prévoyant de s’installer sur le futur site de Massalia, furent invités par un petit roi local du nom de Nanos, chef des Ségobriges, à un banquet donné en l’honneur de sa fille Petta qui devait à l’occasion de ce dernier, choisir un époux. Elle choisit alors le chef de l’expédition grec, Euxénos. Le roi leur octroie en dot la calanque du Lacydon. De cette liaison naît alors Protis, l’ancêtre d’une des plus grandes lignées massaliotes. Dans une autre version, c’est Protis lui-même le chef de l’expédition qui est marié à la fille du roi s’appelant alors Gyptis. Les deux versions sont similaires dans leur contenu et soulignent surtout le même événement important : l’établissement des Grecs sur un site octroyé par un roi local avec qui ils établirent des liens privilégiés. Ce roi, Nanos  est, comme son nom (« le nain ») l’indique, un petit chef local, bien qu’il semble tout de même contrôler un certain territoire comme en témoigne le nom de son peuple qui signifie « de la colline victorieuse ». Petta, le nom de sa fille, signifie « pièce de terre » et son mari, Euxénos, le bon étranger ou le bon hôte. Cette façon de nommer les protagonistes de la légende de la fondation de la ville permet de bien comprendre les mécanismes réels qui permirent aux Grecs de s’implanter.

Évocation de la rencontre et de l’alliance de la princesse celte Gyptis avec le Phocéen Protis sur l’oppidum de Saint-Blaise, précédant la fondation de Marseille en 600 av. J.-C. Crédits : © Aquarelle Sandrine Duval

Les premiers conflits

Malgré une implantation à l’origine pacifique, les Massaliotes durent souvent faire face à des menaces indigènes. Cette menace est perceptible à travers la suite de la légende de fondation de la ville, où le fils du roi Nanos, Comanus, décide d’attaquer par surprise les Grecs. Les indigènes sont finalement repoussés et vaincus. Par cette victoire les Grecs s’accaparent une partie de l’arrière-pays marseillais.

Duel entre un hoplite et un chef celte du début du IVème siècle avant notre ère, dessin de Théo Dubois d’Enghien

Des attaques de ce type durent être fréquentes, notamment sous la poussée de vagues migratoires celtes qui furent particulièrement actives durant les Vème et IVème siècles.

Marseille elle-même dut sans aucun doute y faire face comme le souligne l’épisode du siège de « Catumandus » (voir plus bas). Les indigènes, proches de la ville de Marseille, qui trouvaient leur intérêt à commercer et échanger avec les Grecs, furent souvent des alliés précieux pour Massalia. 

Outre la menace venant de la terre, Massalia eut à lutter contre l’expansion carthaginoise et étrusque dans le bassin méditerranéen occidental. Alalia en Corse était une fondation phocéenne depuis laquelle les Grecs attaquaient fréquemment les routes commerciales étrusques (la piraterie était à l’époque un moyen de subsistance indéniable). Pour lutter contre cette dernière, les Étrusques s’allièrent aux Carthaginois et Alalia appela Massalia à son secours. L’engagement décisif eut lieu en mer et les flottes des deux armées furent en grande partie détruites.

Si les Massaliotes semblent avoir réussi à couler la grande majorité des navires carthaginois, les Étrusques, eux, réussirent à capturer et à vaincre un grand nombre de Grecs d’Alalia. Cette bataille, rapportée par Hérodote, qui eut lieu entre 540 et 535 avant Jésus-Christ, et pour laquelle il est difficile de déterminer qui fut réellement le vainqueur, eut pour conséquence l’abandon d’Alalia et donc de la Corse aux Étrusques, mais confirma l’aire de domination marseillaise sur une cote allant de l’actuelle ville de Nice jusqu’à la fondation phocéenne d’Ampurias en catalogne actuelle. Les Massaliotes durent donc lutter de nombreuses années, sur terre comme sur mer, pour réussir à construire leur route commerciale qui allait les faire prospérer.

Le siège de catumandus

L’historien latin Justin rapporte que vers 400 avant Jésus-Christ, une coalition de Celtes dirigés par un roi du nom de Catumandus mit le siège devant Marseille. Suite à un revers lors duquel, d’après la légende, la déesse Athéna, irritée, le somme de faire la paix, Catumandus décide d’interrompre le siège et les Massaliotes lui permettent d’entrer dans la ville pour déposer des offrandes au temple de la déesse. Cette légende illustre bien l’expansion celte de la fin du Vème et du début du IVème siècle qui aboutit notamment à la mise à rançon de Rome par les Celtes en 390 avant Jésus-Christ, rançon que Marseille aida à payer.

Pour aller plus loin…